Chefs et restaurants

René et Maxime Meilleur, retour sur la première année 3 étoiles

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Entretien avec les « Meilleur » de Savoie.

Tout est parti d’un champs de patates acquis en 1976. De cette terre, René et Maxime Meilleur et leur famille ont bâti La Bouitte, seul restaurant 3 étoiles Michelin de Savoie

À l’occasion de la sortie du Guide Michelin 2016, le magazine Exquis s’est entretenu longuement avec le binôme savoyard, père et fils, qui a créé la surprise il y a un an, le 2 février 2015 , en recevant la troisième étoile Michelin des mains de Laurent Fabius, au Quai d’Orsay. Meilleur est leur nom, René et Maxime leurs prénoms. Hors des sentiers battus, des canaux médiatiques et de certains codes établis de la profession, le duo au nom prédestiné à atteindre les sommets, a remporté cette bataille avec une force de conviction puisée au plus profond de leurs racines paysannes et montagnardes. Leur secret, être libre, entier et ne pas dévier du chemin qu’ils ont décidé, eux seuls, d’emprunter. C’est dans leur « bureau », une petite pièce attenante à la cuisine où toutes les grandes décisions se prennent, que René et Maxime nous ont accueilli pour revenir sur cette première année Trois étoiles. Rencontre…

René et maxime Meilleur

Revenons 1 an en arrière, vous apprenez que vous obtenez la troisième étoile, quels sont vos souvenirs de ce moment précis ?
René Meilleur : « Ce sont des souvenirs de bonheur. On y croit sans y croire, puis on se dit ça y est, c’est pour nous. Beaucoup de larmes bien sûr puis l’annonce au personnel qui lève les bras, qui applaudit, qui sourit.»

Maxime Meilleur : « En fait, on le sait quelques jours avant l’annonce officielle. Michael Ellis (directeur international des guides Michelin) vous appelle au téléphone et vous annonce la grande nouvelle.  À partir de ce moment, c’est très bizarre car on est au courant mais en même temps, on doit garder l’information secrète jusqu’à l’annonce officielle. C’est un mélange de bonheur intense et de frustation de ne pas pouvoir partager immédiatement avec les équipes. Après, lors de la remise au Quai d’Orsay, c’est une joie et une fierté immense, un moment privilégié avec son entourage proche, famille et amis.»

R.M: « Beaucoup de personnes nous disait ; pour avoir trois étoiles, il faut plus de luxe, du caviar, du homard. Et finalement, avec notre cuisine « en dehors de cases », nous avons eu raison puisque nous avons eu la reconnaissance suprême du guide Michelin.»

M.M: « Oui, c’est vraiment le sentiment d’être arrivé à une cuisine aboutie que nous sommes les seuls à maîtriser et à réaliser.»

Quand vous recevez ce coup de fil de Michael Ellis, vous êtes ensemble ?
M.M : « On était ensemble, en plein service. C’était aux alentours de 15h, 15h15.»

R.M: « Oui, on est venu me chercher en cuisine en me disant, il y a le patron du Michelin qui veut te parler. J’ai laissé Maxime et j’ai couru prendre le téléphone. Michael Ellis me dit : « Je suis dans le train, j’espère que vous allez bien m’entendre… » et puis évidemment la ligne a été coupée. Quelques minutes plus tard, j’ai enfin pu entendre la grande nouvelle mais rien de plus, à part : on vous attend lundi à telle heure à Paris.»

Vous donne t-on les raisons pour lesquelles vous accédez à cette troisième étoile ?
R.M : « Non, on ne nous dit rien. Justement, c’est ça qui est bien. Il n’y a pas d’orientations ou d’influence. C’est juste notre cuisine, en l’état, notre cuisine personnelle qui est reconnue à ce moment-là.»

M.M: « En fait, il n’y a pas de recettes pour avoir trois étoiles et heureusement. Si c’était le cas, il suffirait de l’appliquer à la lettre et de se donner les moyens pour y accéder. La troisième étoile, ça doit sortir du cœur, on sort de la couture pour entrer dans la haute couture. C’est une démarche de vérité et une volonté d’être en phase avec soi-même et d’affirmer une vraie identité.»

R.M : « Pour nous, c’est notre Savoie qui est mise en avant et certains produits simples de notre terroir que nous parvenons, avec notre imagination  et notre travail, à révéler dans des recettes très élaborées.»

René et Maxime Meilleur

Le secret est resté entre vous deux combien de temps réellement ?
R.M : « En fait, les medias ont débarqué le samedi pour faire un reportage. Bien sûr, toute l’équipe a compris ce qui se passait. Il fallait des images télé pour le jour J. Jusqu’alors, nous avions deux macarons Michelin sur nos bérets.  Lorsque j’ai annoncé à l’équipe que nous allions devoir changer les bérets et passer aux bérets trois étoiles, ils m’ont tous jeté leur béret deux étoiles à la figure. C’est le sentiment du travail accompli. Pour papa, c’est 40 ans de travail, pour moi 20 et pour l’équipe, une vraie fierté d’évoluer dans l’une des meilleurs tables du monde.»

À l’annonce de la troisième étoile, vous ressentez un soulagement ou, au contraire, une pression supplémentaire ?
R.M : « C’est un vrai soulagement. Il ne faut peut-être pas trop le dire mais c’est le cas. Avant la troisième étoile, vous vous posez beaucoup de questions, vous pensez aux moindres détails. Avec cette reconnaissance ultime, on se dit simplement que c’est notre cuisine, comme elle est, qui plait et qu’il faut continuer comme on le sent.»
M.M : « C’est un peu comme un diplôme, une validation de ce que nous sommes, de ce que nous faisons et de ce que nous transmettons. On nous a dit : on approuve votre cuisine alors continuez. La ligne d’arrivée a été franchie et c’est à nous, tous les jours, et à chaque service, de maintenir le niveau, de continuer à avancer et de na jamais décevoir.»

Justement, qu’est-ce que la cuisine des Meilleur ?
R.M : « C’est une cuisine que l’on a créée, petit à petit, pour arriver à de vrais plats.  C’est nous, ce sont des choses qui ne sont pas forcément établies. C’est peut être pas très droit, il y a peut-être quelques petits défauts mais c’est tout cela qui amène une certaine richesse dans les assiettes.»

M.M : « J’ai le souvenir d’un grand chef trois étoiles qui est venu manger à La Bouitte en janvier 2015 et qui m’a dit : « À la Bouitte, l’imperfection sert la perfection » et, sur le moment, je n’avais rien compris. Ce qu’il voulait dire par là était que ces petites imperfections apportaient un supplément d’âme à nos réalisations et traduisaient toute la sincérité et l’amour que nous mettons dans nos plats. C’est une cuisine gourmande, taquine, pourquoi pas régressive si on prend par exemple notre dessert « Le Lait dans tous ces états », une cuisine qui s’inspire de nos souvenirs d’enfance. Chaque bouchée du même plat doit surprendre, de la première à la dernière, par les différentes textures, les différentes cuissons, les associations qui interpellent.»

Comment puisez-vous votre créativité ?
M.M : « Tous les jours mais pas de méthode précise. On parle beaucoup, on teste, on goûte, on part sur du compliqué puis on simplifie. Mais une chose est sûre, lorsque l’on est dans le vrai, on le voit de suite, cela s’impose à nos yeux et à nos palais. Entre l’idée et la réalisation, il peut se passer une heure comme un an. Par exemple, lors de notre dernière soirée œnologique, nous avons servi des lentilles frites, c’était une première pour nous. Cette idée a marqué tout le monde et nous avons entendu parler de ces lentilles toute la soirée.»

Quels sont les plats emblématiques de La Bouitte ?
R.M : « Beaucoup sont des plats phares puisqu’ils ont reçu l’approbation des clients. Après, il est nécessaire de renouveler sans cesse et de ne pas tomber dans la facilité de la répétition. La créativité et la prise de risque font partie intégrante de notre vision du métier.»

M.M : « Le dessert au lait, l’escalope maïs, une recette de pigeon et de ris de veau… Aujourd’hui, on a les crozets ou la truite qui deviennent des classiques. Mais quand on a une clientèle composée de 80% d’habitués, c’est-à-dire de personnes qui viennent manger deux, trois, quatre voir dix fois dans l’année, si vous leur servez la même chose, ils iront voir ailleurs et c’est normal, c’est ce que je ferai ! D’où la nécessité d’avancer, de créer, de surprendre.»

R.M : « Il y a aussi l’histoire de nos menus surprise. Vous venez manger chez nous, après vous avoir interrogé sur vos possibles allergies et autres contre-indications, nous vous servons un menu uniquement dédié à votre table. Les autres tables ayant d’autres propositions. Nous sommes en permanence à l’écoute et si un client nous fait une demande particulière, nous la réalisons. C’est le cas par exemple pour le service de ce soir pour lequel un client a demandé à manger des œufs. Nous lui ferons ses œufs façon Meilleur. »

Qui dit 3 étoiles dit Médias, comment gérez-vous cet aspect-là ?
M.M : « Il faut lui apprendre à dire non. »

R.M : « C’est vrai, avant la troisième étoile, j’étais tellement peu médiatisé que maintenant j’ai tendance à dire toujours oui et à prendre tout ce qu’il y a à prendre. »

MM : « J’ai participé en tant que « jury d’un soir » à la saison 2016 de Top Chef. Auparavant, je leur disais que je ne participerais pas avant d’avoir la troisième étoile. C’est chose faite donc j’ai participé. C’est une expérience. On rentre dans un milieu qui nous est inconnu mais finalement on a aujourd’hui les armes pour se défendre même si c’est bizarre tout à coup de se voir en photos de partout. »

MM : « Et puis, on joue notre rôle d’ambassadeurs de cette Savoie que nous aimons par-dessus tout. C’est notre boulot aussi de faire rayonner la Savoie à travers le monde.»

Et les autres sollicitations ?
MM : « Nous avons beaucoup de propositions, de consulting ou autre. Mais, pour ma part, je ne veux pas, je préfère avoir un petit chez moi qu’un grand chez les autres. Nous avons suffisamment  de quoi occuper nos journées. Après, il y a des gens qui s’impliquent dans un tas d’affaires et qui sont très bons. Moi, ce n’est pas mon cas, je ne me sens pas capable par exemple d’ouvrir un restaurant à Tokyo. Je vais y aller avec mes gars, cuisiner quelques jours, faire ce que nous savons faire et voilà tout. Pour le reste, j’incite plutôt les gens à venir nous découvrir ici chez nous à La Bouitte, à la source. »

Quelles évolutions pour demain ?
M.M : « Être encore et toujours à l’écoute de nos clients. Notre famille a mis 40 ans pour proposer La Bouitte d’aujourd’hui. Depuis le champs de pomme de terre du départ, nous avons tout construit de nos mains, avec nos moyens et un bon sens paysan qui ne nous a pas quitté. On ne met pas la charrue avant les bœufs, on ne s’emballe pas et les évolutions à venir prendront forme, comme d’habitude, les unes après les autres, avec le temps nécessaire pour bien les réaliser. »

R.M : « Oui et puis je vous rassure. Je sais très bien que nous sommes 3 étoiles mais je ne pense pas à cela en me rasant le matin. De la première étoile à la troisième, nous sommes toujours des cuisiniers. Le changement est davantage dans le regard des autres et c’est vrai que c’est agréable. »

Nous promettez-vous une troisième génération de Meilleur ?
M.M : « J’ai deux garçons, 7 et 13 ans. Il y a une grosse différence quand j’avais leur âge à La Bouitte et maintenant. Quand j’ai rejoint mon père en 1996, il n’y avait pas d’étoiles, c’était une petite structure. C’était accessible. Aujourd’hui, c’est une maison de 1800m2 avec 16 chambres, 45 employés et trois macarons Michelin. Là, on peut parler de pression. Cela fait vingt ans que je travaille avec mon père, j’ai maintenant 20 ans devant moi pour tout stabiliser. Si demain, l’un de mes enfants souhaite rejoindre l’aventure, ce sera avec un grand plaisir. Pour le moment, mon grand souhaite faire de la pâtisserie, je vais donc l’envoyer faire de la pâtisserie.»

R.M : « C’est évidemment plus compliqué aujourd’hui mais il faut tout faire pour mettre en œuvre ses idées, même les plus farfelues. Se relever les manches, oser et avancer. Aujourd’hui, je transmets le flambeau à Maxime, à lui de poursuivre l’aventure familiale. Pour mes petits-enfants, au delà des techniques, c’est aussi une question de caractère et de palais. Le principal étant de donner le meilleur de soi. »


Propos recueillis le 15 janvier 2016.
Saint Martin de Belleville – La Bouitte
Pour réserver :
La Bouitte
Saint Marcel
73 440 Saint-Martin-de-Belleville
+33 (0)4 79 08 96 77
la-bouitte.com


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Texte : Rédaction du magazine Exquis

© Crédits photos : ©Jour J

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