Cuisine sans frontière au restaurant Ambos
Après une vie de voyages, Cristina Chomet Tejeda et Pierre Chomet s’installent à Paris et ouvrent Ambos dans le quartier du Luxembourg, un lieu chaleureux et ouvert pour une cuisine sans frontière.
En espagnol, « ambos » signifie « les deux ». Pas besoin de vous faire un dessin, on parle de Cristina Chomet Tejeda et Pierre Chomet, « les deux » au restaurant comme à la maison. En face du Sénat et du Jardin du Luxembourg, ils accueillent leurs convives chez eux, sérieux comme un débat dans l’hémicycle, légers comme une promenade entre les arbres et les joueurs d’échec. Les matières sont brutes, pierre, brique et bois. Le lieu a été rendu à ses origines, dans ce quartier historique de Paris, mais dans un esprit contemporain. Le soleil s’invite presque toute la journée à travers la baie vitrée, éclairant les murs couleur crème. La hauteur sous plafond donne du souffle, les plateaux des tables en chêne clair contrastent avec le sol foncé.
Ambos, une cuisine d’union
À la question de définir et décrire leur cuisine, Cristina et Pierre ont trouvé la réponse, les mots pour le dire. Ce qui résume le mieux leur histoire, c’est l’idée d’une cuisine sans frontière mais non sans racines. Les fondations sont celles de la cuisine française, son patrimoine, ses techniques, consolidées par leurs parcours d’apprentissage respectifs. Mais la maison bâtie sur ces bases est faite de murs en verre, lumineuse, ouverte sur le monde. L’assiette est vagabonde, inspirée par leurs origines et leurs voyages : Amérique du sud, Italie, Espagne, France (Paris, Bretagne, Provence), Royaume Uni, Thaïlande. Surtout pas une cuisine fusion, mais une cuisine d’union, une cuisine malicieuse comme le sourire de Cristina, précise comme l’esprit de Pierre, enjouée comme la somme de leurs deux personnalités, distinctes mais complémentaires.
L’eau et le feu
Si on avait dit à Cristina et Pierre il y a 10 ans, qu’ils se retrouveraient un jour en couple, parents d’un petit garçon, tous les deux en cuisine de leur propre restaurant, ils auraient bien ri. Dans ce temple de la haute cuisine, à l’atelier de Joël Robuchon, ils s’étaient bien remarqués l’un l’autre mais, elle n’était pas libre et lui pas là pour batifoler.
Pour Cristina, Londres n’était qu’une étape supplémentaire sur une sorte de tour du monde qui ne dit pas son nom. Née au Vénézuéla, elle débarque à Barcelone avec ses parents lorsqu’elle a 10 ans. Une nouvelle vie avec un socle, la musique et les plats sud-américains à la maison, et un horizon, la culture catalane dans toutes ses expressions. Enfant, elle boude devant ses assiettes mais cuisine pour toute la famille. Elle étudie dans la capitale catalane à l’école Hofmann, est commis puis bras droit au Tram-Tram, semi-gastro au cadre romantique et arrive au Royaume-Uni. L’Atelier Robuchon est en ligne de mire. Elle est en place quand Pierre arrive sous ses ordres.
Né en région parisienne, élevé en Bretagne, Pierre a lui attrapé le virus de la cuisine en regardant un documentaire sur la vie de palace. Lycée hôtelier à Dinard, école Médéric à Paris, il réalise son rêve de grand hôtel en intégrant le Bristol, d’abord au 114 Faubourg puis à l’Épicure d’Éric Frechon, triplement étoilé. Il y perfectionne toutes les bases, expérimente le coup de feu, la discipline, la rigueur, le beau, le propre, le contrôlé. « Une expérience très formatrice qui m’a permis d’acquérir de bonnes bases », assure t-il. À l’Hôtel Résidence de la Pinède, à Saint-Tropez, le luxe est toujours présent mais le chef Arnaud Donckele, l’entraîne vers d’autres rives.
Après la cuisine au beurre du Normand Frechon, Pierre explore la cuisine à l’huile d’Olive auprès du plus Provençal des Normands, la Méditerranée façon Donckele dans toute sa splendeur. Et, au-delà de la cuisine, il découvre une famille. « La Vague d’Or, c’était une petite structure», se souvient Pierre. Le chef nous appelait « mes garçons », il y avait de l’écoute, du dialogue, il m’a transmis la passion vraie. »
C’est une autre passion que Pierre va chercher à Londres. Sans le savoir. Cristina et lui se donnent à fond dans l’Atelier Robuchon. Pas le temps de s’attacher, d’autant qu’au bout d’un peu plus d’un an, Pierre s’envole pour la Thaïlande, un Atelier Robuchon ouvre à Bangkok sous les ordres du chef Olivier Limousin.
L’Asie, nouveau continent, nouvelle culture, et premier poste à responsabilité. De la cuisine mais aussi du management, dans un pays inspiré par la parole de Bouddha. « Une phrase m’a notamment marqué, se souvient Pierre. « L’énervement est une faiblesse ». Tout est dit. La fréquentation des marchés stimule son esprit de cuisinier : poissons qui sèchent, grenouilles vivantes, épices, herbes, fruits…
Pendant ce temps, Cristina est entrée au service de sa majesté. Oui, oui, feue Elisabeth II elle-même. Oui, oui, à Buckhingham Palace. Mais ce sont les voyages officiels, qu’elle préfère, pour des moments uniques dans l’intimité de la Queen Mother. De retour en Espagne en 2018, Cristina travaille au Spoonik, un restaurant proposant une expérience gastronomique totale, stimulant tous les sens. Et là, elle apprend que Pierre traîne dans les parages. Allons bon. « Tu viens à Barcelone et tu ne m’appelles pas ? », lui écrit-elle. Vous connaissez la suite. Cristina rejoint Pierre à Bangkok. Lui s’éclate au Chef’s Table de Vincent Thierry, récemment promu à deux étoiles au Guide Michelin. « Il me laissait faire tout ce que je voulais, raconte t-il. Je me suis émancipé de ce que j’avais appris avant, ça m’a changé d’une manière monumentale. » Cristina consolide son savoir-faire auprès de Henk Savelberg, chef étoilé néerlandais bien implanté à Bangkok.
En à peine plus d’un an, elle passe de sous-cheffe à cheffe de cuisine.