Alain Quercia, la cuisine dans la peau
Les belles rencontres sont souvent le fruit du hasard et le hasard a souvent tout bon. Lorsqu’Alain Quercia est contacté pour illustrer le dernier livre du chef doublement étoilé Christophe Aribert du restaurant Les Terrasses à Uriage, il n’hésite pas un instant et se lance à corps perdu dans l’aventure même si l’exercice ne lui est pas habituel. Artiste Sculpteur, Alain Quercia n’est pas un illustrateur et pourtant, en étroite collaboration avec le duo Benoit Linero le photographe et Georges Riu le graphiste, ce dernier va exécuter un travail de croquis de recettes fidèle à l’esprit du chef Aribert et apporter un regard esthétique nouveau dans l’univers des livres culinaires. « Je garde un très beau souvenir de mes échanges avec Christophe Aribert. L’ambiance des cuisines, la détermination d’un homme et une certaine rugosité qui au final donne naissance à de l’élégance et de la pure délicatesse ». Les croquis de l’artiste sont directs, francs, vifs, précis, sans chichis, à l’image de la cuisine du chef et ont sans conteste, contribué à l’obtention du prix du « livre gourmand de l’année 2013 » décerné par le jury du Figaro. Seuls le travail et la qualité payent, cette collaboration en est une nouvelle preuve. Alain Quercia a vécu cette commande comme une parenthèse qui a enrichi sa personne et son travail. En acceptant de se mettre en danger, il a su puiser le meilleur de lui-même et ainsi fournir des créations assez inédites et pleines de sens.
Alain Quercia se livre
« En 2005/2006, j’ai clos un cycle de travail, commencé en 1999, sur la possible re-présentation d’alters egos. Chaque exposition de cette série voyait apparaître une nouvelle proposition numérotée de mon double. Pour le numéro 5, j’ai souhaité travailler sur mon propre corps, ma propre peau. J’ai dessiné mon corps pendant six mois, non pas à l’aide de crayons mais grâce à un changement de mon système alimentaire et à un programme intense d’exercices physiques.
Le résultat, à la fin de cette performance, c’est un corps redessiné à la mesure d’une société contemporaine et surtout une proposition : « si on regardait le monde avec sa peau… autrement. Dans ce travail sur mon corps, je voulais que ma peau devienne infra-mince pour réduire l’espace entre un monde intérieur et extérieur. Me rapprocher, symboliquement et concrètement des autres, notamment, à travers de nouvelles préoccupations pour moi : la nourriture, et précisément, la façon dont on fait rentrer le monde extérieur dans notre monde intérieur. La peau, ma propre peau s’est mise à résonner, à me renseigner, à me nourrir des autres. J’ai ressenti, surtout à la fin de cette performance, des émotions inconnues jusqu’alors. Le rationnement alimentaire strict dans lequel je me trouvais me déplaçait vers des états limites comme l’anorexie ou la boulimie. Cette performance, je l’ai vécue comme un rituel initiatique contemporain, un parcours à la frontière entre fragilité et force, et j’ai eu la sensation de recevoir un don : celui de percevoir autrement la peau de l’autre. Ce processus de performance m’a permis de m’interroger sur la notion de frontière entre les êtres, de limite, afin de pouvoir traverser ces barrières ou encore d’avoir les moyens de les faire disparaître. Le philosophe contemporain F. Dagognet, auteur d’un essai intitulé « La peau découverte » parle d’un nécessaire renversement des croyances sur la peau. Pour lui, et je m’approprie cette découverte, la peau n’est plus à considérer comme une frontière, une limite, mais comme un espace ouvert au monde extérieur, aux autres en particulier ! La peau est un cerveau externe. Cette déclaration d’un mode « anti-frontière » de la peau a validé beaucoup de mes sensations et intuitions. Je me suis dit qu’en « regardant le monde avec sa peau », on pourrait peut-être effectuer un renversement de certaines valeurs de notre société ! Si la peau, perçue comme une limite aujourd’hui, devient un espace de rencontre et d’ouverture à l’autre, ce qui peut apparaître comme objet de discrimination et d’exclusion (couleur, origines) devient un vecteur d’ouverture et un objet d’inclusion.»
alainquercia.com
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Textes : Jérôme Burdet
Photos : © Pierre François Couderc
Illustrations : © Alain Quercia
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